mercredi 8 avril 2009

2. Corée du Nord .:. Voyage au bout du monde

Introduction

Aéroport de Schonefeld, Berlin 1998. Dans quelques heures, nous prenons l’avion pour la Corée du Nord, cette inconnue mythique digne d’un univers orwellien. Nous sommes invités par le gouvernement nord-coréen dans le cadre des célébrations du 16e festival des Arts et de l’Amitié qui débutera le 5 avril. Plus de sept cents invités égaieront l’élite nord-coréenne pendant deux semaines. Quinze jours pour raconter au reste du monde une mauvaise fiction dont le personnage principal est Kim Il-Sung, le Grand Leader. Il était une fois une histoire irréelle…

La lettre d’invitation en révèle très peu quant à ce qui nous attend. Nous savons seulement que nous serons pris en charge par le gouvernement dès l’embarquement à bord de l’avion d’Air Koryo, un coucou gouvernemental. Nous, c’est Stéfanie, une trapéziste ; Serge, son copain ; Suzanne, la mère de Stéfanie ; et moi, récemment promu dans l’art non consommé du montage de trapèze. Nous représentons le Canada parmi un contingent d’artistes provenant de tous les coins de la planète. Même des États-Unis. C’est tout dire. Ces deux pays, qui jouent généralement la carte de la Grande Surdité sur le plan des relations internationales, ont accepté de danser ensemble pendant deux semaines. Sorte de putasserie diplomatique se résumant à envoyer une petite délégation américaine et à utiliser ce tremplin de propagande festive pour établir des liens diplomatiques avec la Corée du Nord. Sans plus. Faudrait quand même pas s’attendre à trop. Et puis, il y aura Mathieu, un monocycliste belge, qui nous accompagnera.

Tout au long de ce récit, nous serons observateurs depuis l’intérieur d’un système qui s’étouffe à s’en nier, de la survie quotidienne de millions de Nord-Coréens isolés, oubliés du reste du monde et d’eux-mêmes. Nous serons l’une des pièces d’un puzzle propagandiste surréaliste. Témoins privilégiés, ou prisonniers, c’est selon, de l’importance qu’accorde ce pays à sa culture. Pas une culture religieuse car il n’y a pas de religion officielle dans ce pays, mais une culture politique qui s’apparente parfois davantage à un culte totalitaire. Témoins aussi d’un choc culturel provoqué par la différence de perception qu’eux et nous avons des mêmes gestes quotidiens, mais exprimés si différemment. Ce sera un voyage de deux poids deux mesures… trop souvent en notre faveur. Nous entrerons en Corée du Nord par une brèche avec l’impression de se faufiler à l’intérieur du pays à travers une fissure délibérée. Comme si nous étions un mal nécessaire qu’il ne fallait pas trop remarquer.

La Corée du Nord. Elle nous apparaîtra comme une dictature anonyme, dont la peur est autogérée. On oserait l’absurde, ordinaire. Ordinaire dans le regard des Nord-Coréens. Comme s’ils nous répétaient inlassablement : « C’est comme ça. » Aucune trace laissée par le regard, ni par le pas sur la terre, million de fois écrasée par la lassitude. Une population réduite au silence, prisonnière d’elle-même. Coupable par affiliation, fermée, complètement. Isolée de l’intérieur. La Corée du Nord est née d’une absurdité historique , et cette absurdité s’est développée autour d’une idéologie née dans la tête d’un simple officier placé au pouvoir par les Soviétiques. Pour mieux asseoir son pouvoir, cet homme a pris le nom d’un héros de la guerre de Mandchourie. Pour s’approprier ses exploits et subjuguer son nouveau peuple, son souffre-douleur. Pour les cinquante années qui suivent – un demi-siècle –, la dictature est reine et Kim Il-Sung est son roi. Un roi qui devient Dieu, messie stalinien, idéalisé par ceux-là mêmes qu’il a désâmés. Il installe son trône dans un pays de plus en plus oublié du reste du monde, un pays qui a arrêté de s’épanouir mais qui continue d’imploser à doses massives de peur et d’ignorance, flétri par l’indifférence. La Corée du Nord est devenue une collectivité, dénuée de toute individualité, sans nom, dont le temps s’est, semble-t-il, arrêté. Et nous, nous aurons le privilège de voyager dans ce qui nous apparaîtra comme un retour dans le passé et de participer à l’un des plus gros festivals du monde, et le plus secret.

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