lundi 13 avril 2009

6. Corée du Nord .:. Voyage au bout du monde

3 avril
Hôtel Frederik’s, Berlin

9 h. Dernière journée avant d’aller rejoindre mon groupe de circonautes à l’aéroport. J’en profite pour me perdre dans Berlin. Comme je suis le seul client d’un hôtel de quartier fraîchement rénové, ma nuit a été tranquille. Je jette un coup d’œil sur mon gîte. J’imagine facilement que l’endroit n’a pas changé depuis la Seconde Guerre mondiale. Vaste et couvert de haut plafonds, avec un large escalier en son centre menant aux étages, divisant l’hôtel en une demi-lune depuis l’intérieur d’une cour, retiré des activités d’une rue déjà paisible. L’endroit respire une histoire qui m’est inconnue, mais que je me plais à imaginer. Peu de déco, mais vraiment sympathique de simplicité. À mon retour, je remarque qu’un Chinois a atterri dans ma chambre.

Nous faisons connaissance et mon nouveau coloc propose de m’accompagner pour une visite nocturne du quartier, histoire de me raconter son histoire. Nous allons marcher dans Oranienburger Strasse dans le quartier de Mitte, un quartier en vue. Oranienburger est une de ces rues de l’ancien Berlin-Est maintenant occupée par des terrasses de bars et de petits cafés. Sympa, la faune du coin est bruyante et il n’y a pratiquement pas de touristes. C’est parfait ! D’un côté de la rue, les bars ; de l’autre, les galeries d’art underground. Tendances chaotiques et industrielles qui ne détonnent pas avec le quartier. La rue est un microcosme de Berlin, une sous-culture de mouvements effrénés et de goûts éclatés. Les édifices tout d’un bloc m’invitent dans la noirceur et me transposent dans ces films si souvent vus et parfois rêvés. Aucune adresse mais j’aperçois quelques enseignes au néon verdâtres. Certaines ont le néon qui frétille. S’allume, s’allume pas, s’allume un peu. Quelques lumières faiblardes indiquent à peine chez qui l’on entre. Les couloirs humides et noirs accueillent fraîchement. La main collé aux murs, on avance à l’aveuglette, au toucher hasardeux. Je souris dans la nuit. Ça ajoute au plaisir. On suit une personne ou une autre, sans connaître la destination.

Avant d’entrer dans un de ces couloirs sans fin, je me tourne vers la rue. Briquetée et mouillée, ses flaques d’eau me renvoient les reflets des petits bars miteux-joyeux qui la bordent. Ailleurs, je vois des édifices apparemment sans vie aux fenêtres barricadées, larges portes de métal vissées sur toute la hauteur qui font douter. Un instant seulement. Je découvrirai que derrière ces portes se cachent des petits mondes uniques. Parfois, seule et négligée, une affiche annonce une soirée de musique punk ou encore une exposition dans un immeuble l’air-de-rien. Je monte vers rien. Depuis le troisième étage où loge une petite expo-surprise, mon regard se perd sur Berlin-Est qui m’apparaît paradoxale. Elle s’offre à moi comme une veuve en attente, vide de résidents mais pourtant en pleine reconstruction. Et ces graffitis sur la ville que je vois partout. Une veuve fardée. Ils habillent les édifices et les maisons du tout Berlin, maquillent les fenêtres, barbouillent les murs, peu importe où vos yeux se posent. Mais n’arrivent pas à masquer le passé. D’une gare de train à l’autre, Berlin change de peau, offre de nouvelles images et mue. Mais toujours, à traverser la ville, on a l’impression que les Berlinois n’ont pas voulu soigner ces blessures de guerre qui défigurent les murs afin de toujours se rappeler qu’un mauvais rêve a existé. Lorsque je suis arrivé de nuit à Berlin par Zoologischer Garten en empruntant Kurfürstenstrasse, je me suis senti transporté dans le temps : devant moi, à quatre cents mètres, apparaissait la coupole étêtée de Kaiser Wilhelm Gedächtniskirche, cette église blessée surplombant la ville à travers sa brume, cerclée en bas par de magnifiques vitraux bleus éclairés de l’intérieur. Un colosse à genoux dans la nuit. Je n’ai pas vécu la guerre et pourtant, arrêté devant cette majestueuse, une illusion du passé entre en moi et, pour un instant, j’imagine un tir percutant la coupole de l’église, semant cris, discordes, peurs et longs silences. J’imagine ensuite un ou deux blindés venant constater les dégâts, parcourir furtivement le terrain autour de l’église et repartir, le bruit de leur moteur se perdant en écho dans la nuit douloureuse étouffée par la brume, quelques bruits épars et perdus. Le silence revient, comme celui qui m’entoure en ce moment. Toutes ces images et une multitude d’autres s’enchevêtrent et vivent l’une de l’autre pour faire de Berlin une de ces villes pleines de vies, d’humeurs, lourde de son passé.

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